Epilogue

Michel Anglade

Michel Anglade est le directeur du bureau de Save the Children à Genève, l’un des trois bureaux mondiaux de plaidoyer de l’organisation. Depuis 2018, il dirige les actions de plaidoyer et les initiatives politiques de Save the Children à Genève, œuvrant pour l’amélioration des pratiques et des politiques en faveur des droits de l’enfant.
Fort de trente ans d’expérience en tant que spécialiste des droits de l’enfant, travailleur humanitaire et expert en plaidoyer, Michel apporte une expertise précieuse à ce poste.
Avant d’occuper ses fonctions actuelles, il a passé sept ans à Singapour en tant que directeur des campagnes et du plaidoyer pour l’Asie chez Save the Children. Durant cette période, il a dirigé les actions de plaidoyer humanitaire de l’organisation en réponse au typhon Haiyan aux Philippines, au séisme de 2015 au Népal et à la crise des réfugiés rohingyas au Bangladesh.
De 2000 à 2011, Michel a occupé plusieurs postes de direction chez Oxfam, en Asie (basé en Inde) et en Afrique (basé au Kenya et au Sénégal). Il a débuté sa carrière dans l’aide humanitaire et au développement en 1995, travaillant avec Médecins Sans Frontières et Action Contre la Faim sur des missions au Soudan, en Somalie et dans d’autres régions.

Alors que nous célébrons le centième anniversaire de la Déclaration de Genève sur les droits de l’enfant, adoptée par la Société des Nations en 1924, nous devrions prendre le temps de faire le bilan de ce qui a été accompli, mais aussi des défis qui restent à relever – et qui, dans certains cas, ne cessent de croître – pour que les droits de tous les enfants soient pleinement respectés.

Peu après avoir fondé le Save the Children Fund en 1919 à Londres (avec sa sœur Dorothy Buxton), Eglantyne Jebb s’est installée à Genève, où elle a vécu jusqu’à sa mort en 1928. Pourquoi cette Anglaise s’est-elle installée à Genève en 1920 ? Pourquoi quitter la trépidante Londres ? Parce qu’elle croyait au système multilatéral qui était en train de naître. Elle croyait en la Société des Nations, dont le siège s’était installé à Genève en novembre 1920. Elle était intuitivement convaincue que les droits de l’enfant devaient être universels et que la Société des Nations devait affirmer cette universalité (avec l’importante réserve qu’à son apogée, la Société des Nations comptait 58 États membres et qu’une grande partie du monde vivait sous le joug de régimes coloniaux abjects). Après avoir rédigé la Déclaration de Genève sur les droits de l’enfant et l’avoir fait approuver par des membres éminents de l’Union internationale de secours aux enfants, Eglantyne Jebb réussit à persuader la Société des Nations d’adopter la déclaration, ce qui fut fait le 26 septembre 1924 lors de la cinquième assemblée de la Société.

Cent ans plus tard, que penserait Eglantyne Jebb de la situation des enfants dans le monde actuel ? L’ambition qui animait sa déclaration est-elle devenue réalité ?

Il est clair que des progrès importants ont été accomplis et qu’ils se sont même accélérés au cours des deux dernières décennies. Prenons l’exemple du droit à la vie. Depuis 2000, le nombre d’enfants qui meurent avant leur cinquième anniversaire a été divisé par deux. En 2022, le monde a franchi une étape historique, lorsque le nombre de décès d’enfants est pour la première fois tombé sous la barre des 5 millions. Cependant, des décennies de progrès en matière de survie des enfants sont aujourd’hui menacées, car les principaux donateurs annoncent ou laissent entrevoir des réductions significatives du financement de l’aide. Les coupes dans les programmes de vaccination sont un danger mortel et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime qu’elles pourraient causer des centaines de milliers de décès supplémentaires. Les concepts d’humanité et de solidarité qui ont inspiré Eglantyne Jebb dans la création du Save the Children Fund ont été profondément ébranlés, avec un impact massif sur la vie des enfants.

Eglantyne Jebb, qui a été enseignante, serait également consternée par le fait que 251 millions d’enfants ne sont toujours pas scolarisés dans le monde et que les progrès réalisés pour réduire ce nombre ont stagné au cours de la dernière décennie.

Nous sommes confrontés à une baisse de l’aide des pays riches à un moment où, malheureusement, les pays en développement sont confrontés à des contraintes croissantes sur leur capacité à investir dans des services essentiels pour les enfants. Selon l’UNICEF, près de 400 millions d’enfants vivent dans des pays en situation de surendettement, ce qui les prive d’investissements essentiels pour leur avenir. Dans le monde, plus de 40 pays à faible revenu dépensent deux fois plus pour le service de la dette que pour la santé, y compris des pays avec une très forte population d’enfants. Dans les pays en développement, le service de la dette absorbe aujourd’hui 11 fois plus de dépenses que la protection sociale.

Eglantyne Jebb affirmait que « toute guerre est une guerre contre les enfants ». Le Save the Children Fund a été créé juste après la Première Guerre mondiale pour aider les enfants des pays qui avaient été gravement touchés et appauvris par la guerre. La Déclaration de Genève sur les droits de l’enfant était aussi l’expression de l’idéalisme qui prévalait au lendemain de la Première Guerre mondiale, lorsque le monde voulait abolir la guerre une fois pour toutes.

Cent ans plus tard, le tableau est sombre et la guerre contre les enfants perdure. En 2023, 473 millions d’enfants – plus d’un sur six – vivaient dans une zone de conflit. Ce nombre et cette proportion ont doublé depuis le milieu des années 1990. Le nombre de violations graves des droits de l’enfant dans les conflits a atteint 31 721 en 2023, le chiffre le plus élevé jamais enregistré depuis que ces violations sont répertoriées. Il y a actuellement 120 conflits dans le monde, dont très peu ont un processus de paix significatif ou une possibilité de paix en perspective. Les conflits se multiplient et durent plus longtemps, arrachant un lourd tribut aux enfants, sans qu’aucune fin ne soit en vue. Eglantyne Jebb estimerait certainement que sa mission n’a pas du tout été remplie. Elle serait assurément horrifiée par les violations massives des obligations découlant du droit humanitaire international commises par les parties impliquées dans ces conflits et par les immenses souffrances que cela inflige à un nombre croissant d’enfants.

J’imagine qu’Eglantyne Jebb, la fondatrice de l’organisation pour laquelle je travaille, nous dirait que la seule façon d’avancer est de protéger et de promouvoir sans relâche les droits de l’enfant. Elle serait certainement fière que la déclaration de Genève sur les droits de l’enfant ait inspiré la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989, qui est à ce jour le traité portant sur les droits de l’Homme le plus largement ratifié de l’histoire. Elle appellerait à la mise en œuvre pleine et entière de la Convention dans tous les pays du monde. Elle exigerait que justice soit rendue et qu’il soit mis fin à l’impunité pour les auteurs de violations flagrantes des droits de l’enfant dans les conflits. Elle exigerait une transparence complète dans l’application des droits de l’enfant.

Dans la Genève des années 1920, Eglantyne parlait des soins de santé pour les enfants, de l’éducation, de l’alimentation et de l’impact durable de la Première Guerre mondiale. Mais elle ne pouvait pas prédire que, cent ans plus tard, une menace immense et majeure saperait tous les droits de l’enfant. Je veux parler ici de l’impact du changement climatique. Les perspectives pour les enfants sont de plus en plus inquiétantes dans un monde où la température moyenne est désormais en passe d’augmenter d’au moins 2°C d’ici 2100. Les enfants sont affectés de manière disproportionnée par le changement climatique en raison de leurs caractéristiques physiologiques et développementales uniques. Un milliard d’enfants sont extrêmement exposés aux conséquences de la crise climatique. Les enfants de moins de 5 ans supportent 88 % de la charge de morbidité mondiale liée au changement climatique. La crise climatique met en péril les progrès réalisés pour les enfants en matière de développement au cours des dernières décennies et aggrave les inégalités auxquelles ils font face partout dans le monde. Les enfants eux-mêmes se mobilisent et appellent à agir.

Eglantyne Jebb ne parlait pas de la voix et de la participation des enfants. Cette idée était peut-être trop farfelue pour son époque. Mais aujourd’hui, les enfants veulent participer et être entendus. Dans un contexte plutôt sombre, cette évolution est une lueur d’espoir. Les enfants devraient avoir les moyens d’exiger l’application de leurs droits, trop souvent violés par la cupidité ou l’inaction des adultes. Cent ans après l’adoption de la Déclaration de Genève sur les droits de l’enfant, le temps est venu de donner le pouvoir aux enfants.

Epilogue

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